Mise en œuvre d’un accident médical : risque grave ou risque anormal
Pour apprécier le caractère faible ou élevé du risque médical dont la réalisation a entraîné le dommage, il a été jugé qu'il y avait lieu de prendre en compte la probabilité de survenance d'un événement du même type que celui qui avait causé le dommage et entraînant une invalidité grave ou un décès (CE, 15 octobre 2018, n° 409585; CE, 30 novembre 2021, n° 443922,
Cette précision cependant vise uniquement à la prise en compte de la probabilité de survenance d'un dommage et n'affecte pas la condition de gravité du dommage ouvrant droit à réparation, qui est déterminée par les articles L. 1142-1, II, et D. 1142-1 du code de la santé publique.
En exigeant ainsi la preuve de l'invalidité grave de la patiente, alors que cette preuve ne soit pas requise pour établir l'anormalité du dommage, la Cour de cassation, aux termes d’un arrêt du 14 décembre 2022, retient que la cour d'appel de DOUAI a violé l'article L. 1142-1, II, du code de la santé publique.
Les faits sont les suivants :
Après avoir subi une intervention bariatrique le 26 avril 2010, Mme [N] a présenté des fistules ayant nécessité des colostomies.
Saisi d'une demande d'indemnisation, la commission de conciliation et d'indemnisation retient que les conditions de gravité et d'anormalité du dommage étaient remplies et que la réparation des préjudices de Mme [N] incombait à hauteur de 50 % à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM).
Le 20 novembre 2018, après un échec de la procédure de règlement amiable, en l'absence d'offre d'indemnisation de l'ONIAM, Mme [N] a assigné celui-ci en indemnisation, à hauteur de 50 %, des dommages subis.
Enoncé du moyen développé par Mme [N] :
Madame [N] fait grief à l'arrêt de la cour d’appel (Douai, 17 juin 2021) d'avoir dit que le préjudice qu'elle avait subi ne relevait pas de la solidarité nationale et d'avoir, en conséquence, rejeté ses demandes d'indemnisation formées à ce titre.
En effet, pour écarter l'anormalité du dommage, la cour d'appel a retenu que Mme [N], qui n'avait pas subi de déficit fonctionnel permanent et n'avait pas été placée en invalidité de seconde catégorie ne démontrait pas l'invalidité grave qu'elle avait subie, selon les critères fixés par le code de la sécurité sociale.
Selon Mme [N], en exigeant ainsi la preuve de l'invalidité grave de la patiente, bien que cette preuve ne soit pas requise pour établir l'anormalité du dommage, la cour d'appel a violé l'article L. 1142-1, II, du code de la santé publique.
Réponse de la Cour de cassation :
La Cour de cassation vise les articles L. 1142-1, II, et D. 1142-1 du code de la santé publique.
S'agissant de l'anormalité du dommage, cette condition doit être regardée comme remplie lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie de manière suffisamment probable en l'absence de traitement.
Dans le cas contraire, les conséquences de l'acte médical ne peuvent être considérées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible.
Pour écarter l'anormalité du dommage et rejeter les demandes d'indemnisation de Mme [N], l'arrêt de la cour d’appel retient que, pour apprécier la probabilité de survenance du dommage, il y a lieu de se fonder sur le risque de survenue d'une fistule entraînant une invalidité grave ou un décès pour la patiente, qu’après sa consolidation, Mme [N] ne présente aucun déficit fonctionnel permanent et n'a été placée en invalidité de seconde catégorie que selon les critères fixés par le code de la sécurité sociale.
A défaut d'établir l'anormalité du dommage subi, celle-ci ne remplit pas les conditions nécessaires à son indemnisation au titre de la solidarité nationale.
La Cour de cassation infirme la décision en retenant que la cour d'appel, qui a soumis l'anormalité du dommage à l'exigence d'une invalidité grave, a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour casse et annule, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 17 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Douai .
Cass. 1re civ., 14 déc. 2022, n° 21-23.032, n° 898 B
AL AVOCATS / ASSSOUS-LEGRAND