Insuffisance d’actif de la société : étendue de la responsabilité du dirigeant
La Cour de cassation, aux termes d’un arrêt du 19 avril 2023, précise les conditions de mise en jeu de la responsabilité du dirigeant d’une entreprise déclarée en règlement judiciaire pour insuffisance d’actif.
Faits et procédure
M. [M] était le directeur général délégué à compter du 21 février 2012, de la société Tendances Eco Habitat (la société TEH).
La société TEH, et ses filiales, la société Tendances Eco Habitat Install (la société TEHI) et la société Agence Tendances Eco Habitat (la société ATEH), ont été mises en liquidation judiciaire par trois jugements distincts le 29 janvier 2013.
La société Sarthe mandataire, aux droits de laquelle vient la société MJ Corp, a été désignée liquidateur.
Un jugement du 26 février 2016 a étendu, pour confusion des patrimoines, la liquidation judiciaire de la société TEH.
Le liquidateur a recherché la responsabilité pour insuffisance d'actif de M. [M] et demandé que soit prononcée contre lui une des sanctions professionnelles.
M. [M] fait grief à l'arrêt de la cour d’appel (Angers, 30 novembre 2021) de le condamner à payer à la société MJ Corp, ès qualités, la somme de 4 000 000 euros au titre de l'insuffisance d'actif.
Réponse de la Cour de cassation :
La Cour de cassation vise en premier lieu l'article L. 651-2 du code de commerce aux termes duquel (alinéa 1er) :
Lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion.
La Cour de cassation rappelle que pour condamner M. [M] à payer à la société MJ Corp, ès qualités, une certaine somme au titre de sa responsabilité pour insuffisance d'actif, l'arrêt de la cour d’appel retient que celui-ci était dirigeant de droit de la société TEH ou à tout le moins dirigeant de fait de cette société au regard de l'indépendance dont il bénéficiait dans l'administration générale de cette dernière, s'étant chargé de la gestion de cette société, des relations avec son fournisseur et actionnaire, le groupe Fonroche, et ayant pris la direction du réseau commercial en ayant la responsabilité hiérarchique des salariés, en disposant d'une signature bancaire illimitée.
Selon la cour d’appel, la direction de la société s'étendait de fait à celles des sociétés TEHI et ATEH, qui n'avaient aucune indépendance économique par rapport à la société TEH et qu'il existait une fictivité dans les rapports entre chacune des deux filiales et la société TEH, leur actionnaire unique.
De plus, pour condamner M. [M] à supporter une partie de l'insuffisance d'actif des sociétés TEH, TEHI, ATEH, l'arrêt de la cour d’appel retient que les états des créances font apparaître que le passif admis de la première s'élève à 5 841 347,56 euros, celui de la deuxième à 495 050,63 euros et celui de la dernière à 2 572 085,32 euros, soit un total de 8 908 483,51 euros, étant précisé qu'une attestation relative à l'insuffisance manifeste d'actif a été établie, de sorte qu'en l'absence d'actif réalisé, l'insuffisance d'actif s'élève à ce montant.
La Cour de cassation ne retient pas ces motifs faisant valoir qu’en statuant, sans constater :
- que M. [M] avait été dirigeant de droit des sociétés TEHI et ATEH ni caractériser en quoi il avait exercé en toute indépendance une activité positive de direction de ces sociétés, la cour d'appel a violé L. 651-2 du code de commerce.
- si l'insuffisance d'actif qu'elle retenait existait à la date à laquelle M. [M] avait cessé ses fonctions,
La cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision a violé L. 651-2 du code de commerce.
La cassation intervenue sur le premier moyen entraîne, par voie de conséquence, celle du chef de l'arrêt condamnant M. [M] à une mesure d'interdiction de gérer, les mêmes faits étant retenus à l'appui de sa condamnation à supporter pour partie l'insuffisance d'actif.
Cass. com., 19 avr. 2023, n° 22-11.229, n° 319 D
AL AVOCATS / ASSOUS-LEGRAND