Construction – La prise de possession des lieux ne vaut pas toujours réception tacite
La Cour de cassation confirme aux termes d’un arrêt du 23 mai 2024 qu’en cas de travaux sur un ouvrage existant, la prise de possession permettant, avec le paiement du prix, de faire présumer la réception, ne peut résulter du seul fait que le maître de l'ouvrage occupait déjà les lieux.
Les Faits sont les suivants :
La commune a fait édifier un complexe socio-culturel et sportif.
Elle a souscrit une police d'assurance dommages-ouvrage auprès de la société Pfa, aux droits de laquelle vient la société Allianz IARD.
La réception de l'ouvrage est intervenue le 2 février 1994.
Par lettre du 15 novembre 2001, la commune a dénoncé à l'assureur dommages-ouvrage l'apparition de fissures importantes en façade, et celui-ci a confié une mission d'expertise à la société Silex.
La société Silex a remis un rapport le 6 octobre 2003 et des travaux de réparation ont été réalisés en février 2004 par la société Surfaces et structures, assurée auprès de la société Gan assurances, sous la maîtrise d'œuvre de la société Athis, assurée auprès de la SMABTP.
Par lettres des 27 octobre 2004 et 29 avril 2005, la commune a dénoncé à l'assureur dommages-ouvrage l'apparition de nouvelles fissures, en indiquant que la stabilité de la structure était compromise et que les travaux de reprise avaient été inefficaces.
La commune a assigné les constructeurs et les assureurs par actes du 20 février 2014, puis la société Silex par acte du 2 juillet 2015.
La société Surfaces et structures a été mise en liquidation judiciaire par jugement du 12 octobre 2023 et les sociétés Silex et Allianz IARD ont repris l'instance de cassation contre M. [Y], pris en sa qualité de liquidateur judiciaire.
Concernant la réception des travaux :
La société d’expertise Silex fait grief à l'arrêt rendu le 12 septembre 2022 par la cour d'appel de Toulouse (1re chambre, section 1), jugeant inapplicable la responsabilité décennale faute de réception, de déclarer irrecevables les demandes formées par la commune contre la société Athis, la SMABTP, la société Surfaces et structures et la société Gan assurances, alors « que le paiement de l'intégralité des travaux d'un lot et sa prise de possession par le maître de l'ouvrage valent présomption de réception tacite . »
En écartant toute réception cependant qu'elle constatait que le maître de l'ouvrage avait payé l'intégralité des travaux réalisés (seules des finitions restant à effectuer et à régler) et qu'il occupait les lieux, circonstances qui emportaient présomption de réception, la cour d'appel, n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'article 1792-6 du code civil.
La société Allianz IARD fait grief à l'arrêt de la cour d’appel, jugeant inapplicable la responsabilité décennale faute de réception.
Réponse de la Cour de cassation :
En cas de travaux sur un ouvrage existant, la prise de possession permettant, avec le paiement du prix, de faire présumer la réception, ne peut résulter du seul fait que le maître de l'ouvrage occupait déjà les lieux.
La cour d'appel a relevé que, selon les préconisations de la société Silex, les travaux de réparation comprenaient un temps de latence entre le gros œuvre et les finitions, destiné à observer le comportement du bâtiment. Elle a constaté que les travaux de finition n'avaient été ni exécutés ni payés, alors qu'ils faisaient partie d'une mission unique dont elle a souverainement retenu qu'elle n'était pas susceptible d'être divisée en tranches.
Ayant également relevé que le maître de l'ouvrage occupait déjà les lieux avant l'exécution des travaux, elle a souverainement retenu que ces circonstances, qui ne permettaient pas de présumer une réception tacite, ne caractérisaient pas sa volonté non équivoque de recevoir l'ouvrage.
La Cour de cassation retient en conséquence que le moyen développé par les demandeurs au pourvoi, n’est donc pas fondé.
Civ. 3e, 23 mai 2024, FS-B, n° 22-22.938