Manquement du bailleur à ses obligations :quand le locataire peut- il refuser de payer ses loyers ?
Les infiltrations évoquées par le locataire, pour justifier le non-paiement des loyers doivent rendre les lieux impropres à l’usage auxquels ils étaient destinés pour justifier le refus du locataire de procéder au paiement des loyers.
Telle est la position de la Cour de cassation aux termes d’un arrêt du 6 juillet 2023.
La société du Pavillon de flore, société civile immobilière, a formé le pourvoi n° N 22-15.923 contre l'arrêt rendu le 10 mars 2022 par la cour d'appel de Douai (chambre 2, section 1), dans le litige l'opposant à Mme [H] [Z], épouse [D], défenderesse à la cassation.
Mme [Z] a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La société civile immobilière du Pavillon de Flore (la bailleresse) a donné en location à Mme [Z] (la locataire) un local à usage commercial situé dans un immeuble soumis au statut de la copropriété.
Au motif de divers manquements de la locataire à ses obligations contractuelles, la bailleresse l'a, le 16 août 2017, assignée en résiliation du bail, expulsion et paiement d'une indemnité d'occupation.
La locataire invoque l'inexécution par la bailleresse de son obligation de délivrance à raison d'infiltrations d'eau dans les locaux loués, la locataire a conclu au rejet des demandes dirigées contre elle et a reconventionnellement sollicité l'autorisation de procéder à la consignation des loyers.
La bailleresse fait grief à l'arrêt de la cour d’appel de DOUAI de dire qu’il n'y avait pas lieu à prononcer la résiliation du bail, de la débouter de ses prétentions tendant à voir ordonner l'expulsion de la locataire et fixer l'indemnité d'occupation et d'ordonner la consignation du montant des loyers, alors « que le non-respect de ses obligations par le bailleur ne dispense le locataire de remplir les siennes que lorsque ce manquement rend impossible la jouissance des lieux loués».
La bailleresse soutient qu’en affirmant, pour décider que Mme [Z] était fondée à se prévaloir de l'exception d'inexécution et à retenir les loyers, qu'il existe des infiltrations affectant le local loué et concernant le clos et le couvert, qu'il a laissé perdurer des désordres sans demander de travaux à la copropriété, qu'il refuse de laisser réaliser des travaux par la copropriété, et qu'il a manqué à une obligation essentielle du bail de procéder aux réparations exigées par l'état des lieux et de garantir la jouissance d'un local conforme à celui loué, la cour d'appel qui n'a pas recherché, ainsi qu'elle y était invitée, si le manquement du bailleur à ses obligations rendait impossible la jouissance des lieux, a violé l'article 1728 du code civil, ensemble les articles 1134 et 1184 du code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 16 février 2016.
Réponse de la Cour :
la Cour de cassation vise l’article 1184, alinéa 1, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des deux parties ne satisferait pas à son engagement.
Aux termes de l’article 1719 du code civil, bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière de délivrer au preneur la chose louée, d'entretenir cette chose en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée et d'en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail.
Pour rejeter les demandes de la bailleresse et ordonner la consignation des loyers, l'arrêt de la cour d’appel de DOUAI retient que, peu important que l'exploitation ne soit pas totalement impossible, l'exception d'inexécution est justifiée par le manquement du bailleur à une obligation essentielle du bail.
Selon la Cour de cassation, en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si les infiltrations alléguées avaient rendu les locaux loués impropres à l'usage auquel ils étaient destinés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
La Cour de cassation, en conséquence, casse et annule, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 10 mars 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Douai .
Civ. 3e, 6 juill. 2023, FS-B, n° 22-15.923