Mise en jeu de la responsabilité du conseil en gestion de patrimoine
Des acquéreurs d’un produit immobilier bénéficiaire d’une défiscalisation ont introduit une action en justice en responsabilité des sociétés de conseil en gestion du patrimoine, la rentabilité escomptée n’ayant pas été obtenue.
Se pose alors la question de définir le point de départ de la mise en jeu de cette responsabilité afin de ne pas se heurter à une prescription.
S'agissant d'un investissement immobilier locatif avec défiscalisation, la manifestation du dommage pour l'acquéreur ne peut résulter que de faits susceptibles de lui révéler l'impossibilité d'obtenir la rentabilité prévue lors de la conclusion du contrat.
Telle est la position de la Cour de cassation, aux termes d’un arrêt du 12 octobre 2023, l’action en responsabilité des sociétés de conseil en gestion de patrimoine, devant courir à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en a pas eu précédemment connaissance et non à compter dès l'établissement de l'acte critiqué.
Les investisseurs ont acquis de la société Jeanneney, par l'intermédiaire de diverses sociétés de conseil en gestion de patrimoine, dont les sociétés MLDS patrimoine et Cofip, des appartements construits par la société Promotion Pichet dans une résidence de tourisme bénéficiant d'une défiscalisation.
Souhaitant revendre leurs biens et constatant que les valeurs de commercialisation n'atteignaient pas les taux annoncés, les acquéreurs ont saisi le tribunal judiciaire de Bordeaux afin d'obtenir, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, la désignation d'un expert, afin d'examiner les projections de rentabilité fournies lors de l'achat ainsi que la gestion de l'immeuble depuis sa mise en service.
Par ordonnance du 28 février 2022, le juge des référés a fait droit à leur demande.
Les sociétés MLDS patrimoine et Cofip ont fait appel de cette décision.
Les acquéreurs ont formé le pourvoi n° U 23-13.104 contre l'arrêt rendu le 24 janvier 2023 par la cour d'appel de Bordeaux (1er chambre civile).
Les acquéreurs font grief à l'arrêt de la cour d’appel de fixer le point de départ de l'action en responsabilité exercée par les acquéreurs au jour de leur acquisition et juger que leur action au fond en responsabilité des conseils en gestion de patrimoine, serait en conséquence manifestement irrecevable parce que prescrite.
Réponse de la Cour de cassation
Il résulte de la combinaison des articles 2224 du code civil et L. 110-4 du code de commerce que les obligations entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Il est jugé que le délai de l'action en responsabilité, qu'elle soit de nature contractuelle ou délictuelle, court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en a pas eu précédemment connaissance (1re Civ., 11 mars 2010, pourvoi n° 09-12.710, Bull. 2010, I, n° 62 ; 2e Civ., 18 mai 2017, pourvoi n° 16-17.754, Bull. 2017, II, n° 102).
Pour fixer le point de départ de l'action en responsabilité qui pourrait être exercée par les acquéreurs contre le vendeur et ses mandataires au jour de l'acquisition des biens litigieux et rejeter la demande d'expertise, l'arrêt de la cour d’appel, retient que, s'agissant du manquement à l'obligation d'information ou de conseil, le dommage consistant en une perte de chance de ne pas contracter se manifeste dès l'établissement de l'acte critiqué.
Pour la Cour de cassation, en statuant ainsi, alors que, s'agissant d'un investissement immobilier locatif avec défiscalisation, la manifestation du dommage pour les acquéreurs ne pouvait résulter que de faits susceptibles de leur révéler l'impossibilité d'obtenir la rentabilité prévue lors de la conclusion du contrat, la cour d'appel de Bordeau a violé les textes susvisés.
Civ. 2e, 5 oct. 2023, F-B, n° 23-13.104