Garantie décennale : l’impropriété à la destination face à un risque sanitaire
Le risque sanitaire encouru par les occupants d'un ouvrage peut, par sa gravité, caractériser à lui seul, l'impropriété de l'ouvrage à sa destination, même s'il ne s'est pas réalisé dans le délai d'épreuve.
Telle est la position de la Cour de cassation aux termes d’un arrêt du 14 septembre 2023.
Les faits sont les suivants :
La société civile immobilière ville A2F et la société Vinci immobilier résidentiel ont, en qualité de maîtres d'ouvrage, entrepris courant 2007, la construction d'immeubles comprenant cent-cinquante logements.
Sont notamment intervenues à l'opération de construction :
- la société Cotec, maître d'œuvre de conception technique et d'exécution, assurée auprès de la SMABTP,
- la société Brezillon, entreprise générale, assurée auprès de la société Allianz IARD,
- la société BEP 93, sous-traitant du lot plomberie, assurée auprès de la SMABTP, ayant fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire et remplacée par la société Établissements Danjou, elle-même désormais en liquidation judiciaire, assurée auprès de Groupama Paris-Val-de-Loire.
Les lots ont été vendus en l'état futur d'achèvement et un syndicat des copropriétaires a été constitué pour la résidence (le syndicat des copropriétaires).
Les travaux ont été réceptionnés le 31 août 2009.
Se plaignant de désordres affectant notamment l'installation d'eau chaude sanitaire, le syndicat des copropriétaires a, après désignation en référé d'un expert, assigné les locateurs d'ouvrage et leurs assureurs en indemnisation.
Groupama Paris-Val-de-Loire fait grief à l'arrêt de la cour d’appel (Versailles, 24 janvier 2022), de la condamner, en qualité d'assureur de la société Etablissements Danjou, in solidum avec les maîtres de l'ouvrage et les sociétés Cotec et Brezillon à payer au syndicat des copropriétaires certaines sommes au titre des travaux de reprise de l'installation d'eau chaude, de la surconsommation d'eau et du préjudice de jouissance, de fixer le partage de responsabilité entre les intervenants pour les travaux de reprise et les frais d'investigation et de la condamner à garantir son assurée des condamnations prononcées à son encontre.
La cour d'appel a retenu que les maîtres de l'ouvrage, qui n'étaient pas des professionnels de la construction, n'avaient pu déceler, lors de la réception, le désordre tenant à la longueur anormale de la tuyauterie, quand bien même sa manifestation concrète, à savoir un temps anormalement long pour obtenir de l'eau chaude, aurait pu être décelée au jour de la réception.
Elle en a souverainement déduit, sans inverser la charge de la preuve, le caractère caché des désordres pour les maîtres de l'ouvrage profanes, affectant l'installation d'eau chaude sanitaire.
Pour le Groupama Paris-Val-de-Loire « seuls les désordres qui, actuellement, compromettent la solidité de l'ouvrage ou le rendent impropre à sa destination ou qui, avec certitude dans le délai décennal, compromettront la solidité de l'ouvrage ou le rendront impropre à sa destination, relèvent de la garantie décennale ».
En se bornant à affirmer, pour décider que le désordre relevait de la garantie décennale, que malgré l'absence de cas avéré de légionellose imputable au réseau d'eau chaude sanitaire, l'impropriété du réseau résultait de la seule non-conformité aux règles sanitaires applicables, sans constater que le seul risque qu'elle relevait s'était réalisé ou était susceptible de se réaliser dans le délai de la garantie décennale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1792 du code civil. »
Réponse de la Cour de cassation
Selon la Cour de cassation, le risque sanitaire encouru par les occupants d'un ouvrage peut, par sa gravité, caractériser à lui seul l'impropriété de l'ouvrage à sa destination, même s'il ne s'est pas réalisé dans le délai d'épreuve.
La Cour de cassation rappelle que la cour d'appel a relevé, par motifs propres et adaptés, que la longueur des tuyauteries d'eau chaude sanitaire entre les gaines palières et les points de puisage était supérieure à dix mètres, et que cette non-conformité aux règles sanitaires en vigueur, en augmentant la quantité d'eau contenue dans ces tuyauteries, favorisait le risque de développement de légionelles.
En conséquence, la Cour de cassation relève que la cour d’appel en a souverainement déduit, sans être tenue de procéder à une recherche, que ses constatations rendaient inopérante, que le risque sanitaire auquel se sont trouvés exposés les habitants de l'immeuble pendant le délai d'épreuve rendait, à lui seul, l'ouvrage impropre à sa destination, quand bien même la présence de légionelles n'avait pas été démontrée au cours de cette période, de sorte que le désordre relevait de la garantie décennale des constructeurs.
La Cour de cassation confirme, en conséquence, l’arrêt rendu par la cour d’appel qui a ainsi légalement justifié sa décision.
Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 14 septembre 2023, 22-13.858, Publié au bulletin