Action en garantie des vices cachés : prescription ou forclusion , la chambre mixte de la Cour de cassation tranche.
Le délai biennal prévu à l'article 1648, alinéa 1er du code civil pour intenter l'action en garantie à raison des vices cachés de la chose vendue est un délai de prescription, susceptible de suspension en application de l'article 2239 de ce code, aux termes duquel :
-la prescription peut être suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès.
-le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée.
Faits et procédure
La société Greci Agro-Industriale SRL (la société Greci), producteur de produits alimentaires longue conservation à destination des professionnels, se fournissait en poches de conditionnement stériles et hermétiques auprès de la société Rapak.
Des clients ayant soutenu qu'un gonflement anormal des poches avait entraîné la détérioration de leurs produits, la société Greci a déclaré le sinistre à son assureur, la société Zurich Insurance PLC (la société Zurich), qui a diligenté une expertise amiable.
Le 16 mai 2013, la société Greci a saisi une juridiction italienne qui a désigné un expert le 24 septembre 2013.
Le 25 novembre 2015, la société italienne Gaifin, cessionnaire de la créance de la société Greci, a assigné les sociétés DS Smith France, venant aux droits de la société Rapak, et Zurich, assureur, en réparation de son préjudice.
Les sociétés DS Smith France et Zurich font grief à l'arrêt de la cour d’appel (Nîmes, 17 février 2021) de rejeter leur fin de non-recevoir tirée de la forclusion de l'action en garantie des vices cachés engagée par la société Gaifin et de dire cette dernière recevable en ses demandes.
Selon ces sociétés « la suspension de la prescription prévue par l'article 2239 du code civil n'est pas applicable au délai de forclusion de la garantie des vices cachés . »
Réponse de la Cour de cassation.
la Cour de cassation vise l'article 1641 du code civil, aux termes duquel le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.
La Cour de cassation rappelle, de plus, qu’en application de l'article 1648 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2005-136 du 17 février 2005, l'action résultant de tels vices rédhibitoires devait être intentée par l'acquéreur dans un bref délai, suivant la nature de ces vices et l'usage du lieu où la vente avait été faite.
L'article 3 de l'ordonnance précitée a substitué à ce bref délai un délai biennal.
Dans sa rédaction en vigueur depuis le 28 mars 2009, issue de la loi n° 2009-323 du 25 mars 2009, l'article 1648 du code civil prévoit, en son premier alinéa, que l'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice.
En son second alinéa, l'article 1648 du code civil prévoit que, dans le cas prévu par l'article 1642-1, l'action doit être introduite, à peine de forclusion, dans l'année qui suit la date à laquelle le vendeur peut être déchargé des vices ou des défauts de conformité apparents.
Dans ce second alinéa, le législateur a pris le soin de préciser qu'il s'agissait d'un délai de forclusion.
En revanche, il n'a pas spécialement qualifié le délai imparti par le premier alinéa à l'acheteur pour agir en garantie contre le vendeur en application de l'article 1641 du code civil.
La Cour de cassation a parfois qualifié le délai pour agir contre le vendeur :
-de délai de forclusion (3e Civ., 10 novembre 2016, pourvoi n° 15-24.289 ; 3e Civ., 5 janvier 2022, pourvoi n° 20-22.670, publié),
-parfois de délai de prescription (1re Civ., 5 février 2020, pourvoi n° 18-24.365 ; 1re Civ., 25 novembre 2020, pourvoi n° 19-10.824 ; 1re Civ., 20 octobre 2021, pourvoi n° 20-15.070 ; Com., 28 juin 2017, pourvoi n° 15-29.013).
Les exigences de la sécurité juridique imposent de retenir une solution unique.
Dans le silence du texte, il convient de rechercher la volonté du législateur.
D'une part, mentionnent un délai de prescription pour l'action en garantie des vices cachés du code civil :
-tant le rapport au président de la République accompagnant l'ordonnance n° 2005-136 du 17 février 2005
,
- que le rapport n° 2836 du 1er février 2006 fait au nom de la commission des affaires économiques de l'environnement et du territoire de l'Assemblée nationale sur le projet de loi de ratification de cette ordonnance,
- ainsi que le rapport n° 277 du 23 mars 2006 fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale du Sénat sur ce même projet de loi de ratification.
D'autre part, l'objectif poursuivi par le législateur étant de permettre à tout acheteur, consommateur ou non, de bénéficier d'une réparation en nature, d'une diminution du prix ou de sa restitution lorsque la chose est affectée d'un vice caché, l'acheteur doit être en mesure d'agir contre le vendeur dans un délai susceptible d'interruption et de suspension.
L'ensemble de ces considérations conduit la Cour de cassation à juger que le délai biennal prévu à l'article 1648, alinéa 1, du code civil est un délai de prescription, susceptible de suspension en application de l'article 2239 du code civil.
Cass. ch. mixte, 21 juill. 2023, n° 21-15.809, n° 290 B + R
AL AVOCATS / ASSOUS-LEGRAND