Emplacements de parking et garantie décennale
Un litige oppose différents syndicats de copropriétaires à l’architecte titulaire d’une mission complète de maitrise d’œuvre, concernant l’impropriété de places de parking qui ne correspondent pas aux normes en vigueur quant à leur largeur.
Les copropriétaires invoquent la responsabilité décennale des intervenants à la construction.
Ils affirment que le caractère apparent du désordre s'apprécie in concreto, dans la personne du maître d'ouvrage, lequel n'avait en l'espèce aucune compétence technique particulière.
La Cour d’appel de REIMS fait droit aux demandes des appelants par arrêt du 11 juillet 2023.
Les faits sont les suivants :
La SCI a fait construire, à Champigny sur Vesle (Marne), un ensemble immobilier comprenant 5 bâtiments et 504 emplacements extérieurs de stationnement, qui ont été vendus en l'état futur d'achèvement à divers copropriétaires.
La maîtrise d'oeuvre a été confiée à M [Z] [H], architecte, assuré auprès de la Mutuelle des Architectes Français (la MAF). La SA Gan Assurances était assureur dommages ouvrage pour l'opération de construction.
Des copropriétaires faisant état de difficultés de stationnement, une expertise a été ordonnée par le juge des référés du tribunal de grande instance de Reims, le 12 avril 2017, confiée à M [I] [N], qui a déposé son rapport le 1er juillet 2019
Les 16 et 17 décembre 2019, différents syndicats de copropriétaires, ont fait assigner la société Gan IARD, la MAF et la SELARL Contant [X] [J] prise en qualité de mandataire ad hoc de la SCI devant le tribunal judiciaire de Reims afin d'obtenir l'indemnisation de leurs préjudices.
Par jugement du 25 mars 2022, le tribunal judiciaire de Reims a notamment débouté les parties de l'intégralité de leurs demandes, et ordonné l'exécution provisoire.
Sur le fond, le tribunal a retenu :
-qu'il s'agit d'un désordre apparent pour le maître de l'ouvrage, n'ayant fait l'objet d'aucune réserve et que la preuve n'était pas rapportée de ce que les emplacements n'étaient pas utilisables en l'état et donc que l'ouvrage était impropre à sa destination.
Il en a conclu que les conditions de mise en œuvre de la garantie décennale du maître de l'ouvrage et du maître d''œuvre n'étaient pas établies.
Il en a également déduit que la garantie dommages ouvrage de la société Gan Assurances n'était pas mobilisable. S'agissant des demandes formées contre la MAF, assureur du maître d''œuvre, il a rappelé qu'une réception est intervenue le 14 septembre 2009, de sorte que, n'étant pas de nature décennale, les désordres ont le caractère de dommages intermédiaires, ce qui implique que la responsabilité du maître d''œuvre est subordonnée à la preuve d'une faute sur le fondement de l'article 1231-1 du code civil.
Il a considéré que si la responsabilité du maître d'œuvre pouvait être engagée pour manquement à son devoir d'information et de conseil, cette responsabilité contractuelle ne pouvait être engagée qu'à l'égard du maître d'ouvrage auquel il est lié contractuellement et que si sa responsabilité délictuelle pouvait être en cause au profit d'un tiers au contrat, il était nécessaire d'établir les conditions supplémentaires propres à sa mise en œuvre, soit la preuve d'un dommage et d'un lien de causalité, laquelle n'était pas rapportée en l'espèce.
Un appel est interjeté à l’encontre de ce jugement aux termes duquel il est demandé à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions rendues en violation des articles 1792 et suivants du code civil.
Sur le fond, les appelants invoquent la responsabilité décennale des intervenants à la construction.
Ils affirment que le caractère apparent du désordre s'apprécie in concreto, dans la personne du maître d'ouvrage, lequel n'avait en l'espèce aucune compétence technique particulière.
Ils ajoutent que le désordre était complètement caché et invisible pour le maître d'ouvrage, s'agissant d'un écart parfois minime de certains emplacements, sur une vaste surface, qu'il ne pouvait avoir connaissance des normes techniques fixant la largeur des emplacements de stationnement, qu'il n'ont pas été informé de la décision prise de changer le marquage et qu'au jour de la réception, le taux de remplissage de l'ensemble immobilier faisait que le parking extérieur était quasiment vide, ce qui ne permettait pas de percevoir de possibles difficultés à se garer.
Ils font encore valoir que ce n'est que lorsque ce taux de remplissage a atteint son plein potentiel que le désordre s'est révélé dans sa gravité et invoquent la jurisprudence de la cour de cassation dont il résulte que si les désordres constatés lors de la réception ne se sont révélés dans leur gravité que postérieurement et étaient donc la conséquence d'un vice caché, leur réparation relève de la garantie décennale des constructeurs.
Ils estiment par ailleurs rapporter la preuve de l'impropriété de l'ouvrage à sa destination en démontrant que le parking est inutilisable lorsqu'il atteint un taux de remplissage important et soulignent le fait que les normes techniques en cause étaient rendues obligatoires par le marché.
Position de la Cour d’appel sur les désordres :
Les appelants sollicitent la réparation des désordres sur le fondement de l'article 1792 du code civil, qui prévoit :
" Tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination. Une telle responsabilité n'a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère ".
Il en résulte que l'action en garantie décennale est transmise à l'acquéreur de l'immeuble.
Le caractère apparent ou caché du désordre dont l'acquéreur demande la réparation sur le fondement de l'article 1792 du code civil doit s'apprécier en la personne du maître de l'ouvrage et à la date de la réception (3e Civ., 14 janvier 2021, pourvoi n° 19-21.130).
L'expert judiciaire conclut à la non-conformité de largeur de certaines places de stationnement, inférieures à 2.30 mètres. (Page 18 / 26 11 juillet 2023)
Sur les responsabilités et garanties M [H], architecte, était chargé d'une mission complète de maîtrise d''œuvre, ainsi que cela ressort du contrat de maîtrise d''œuvre figurant aux débats.
Il a été précédemment indiqué que la MAF ne justifiait pas de ses affirmations selon lesquelles la situation résulterait d'une décision de la SCI, maître de l'ouvrage.
Du reste, l'immixtion du maître de l'ouvrage n'est cause d'exonération de la responsabilité des constructeurs que lorsqu'elle est fautive et que le maître de l'ouvrage a une compétence notoire et précise de la technique du bâtiment, ce qui n'est nullement prouvé en l'espèce. La responsabilité décennale de M [H] architecte est donc engagée à raison des désordres qui atteignent les emplacements de stationnement de la copropriété. Son assureur, la MAF, ne conteste pas sa garantie. Elle est donc tenue d'indemniser les préjudices des acquéreurs.
Les copropriétaires invoquant en particulier un préjudice lié aux difficultés de stationnement la cour d’appel retient donc l’application de la garantie décennale, l’ouvrage étant impropre à sa destination de places de parking.
CA Reims, 11 juill. 2023, n° 22/01371
AL AVOCATS / ASSOUS-LEGRAND