Libéralités consenties aux associations : oui….mais… 

 

Il résulte de l’article 910 du code civil et de l’article 1er du décret n° 2007-807 du 11 mai 2007 que les libéralités consenties au profit des associations qui satisfont aux conditions légales exigées leur donnant capacité juridique pour recevoir des libéralités doivent pouvoir être utilisées conformément à leur objet statutaire.

 

Le Conseil d’Etat aux termes d’un arrêt du 17 juin 2024 a rappelé ce principe .

 

 

Les faits sont les suivants :

 

Mme B... A... a institué l'Association Fraternité française, légataire universelle de ses biens meubles et immeubles, à charge pour cette dernière de suivre ses dernières volontés, par un testament authentique reçu le 19 décembre 2005.

 

A la suite de son décès, l'association a adressé, le 9 octobre 2015, la déclaration du legs au préfet de l'Isère qui, par décision du 11 janvier 2016, ne s’y oppose pas.

 

Cette décision a été annulée pour excès de pouvoir, à la demande de Mme F... et M. A..., respectivement sœur et neveu de Mme A..., par un jugement du 9 novembre 2017 du tribunal administratif de Grenoble.

 

En exécution de ce jugement, le préfet de l'Isère a, de nouveau, décidé, le 22 mars 2018, de ne pas s'opposer au legs.

 

Par jugement du 20 novembre 2020, confirmé par un arrêt du 22 décembre 2022 rendu par la cour administrative d'appel de Lyon, contre lequel l'association Fraternité française se pourvoit en cassation, le tribunal administratif a fait droit à la demande de Mme F... et M. A... en annulant cette nouvelle décision et enjoignant au préfet de prendre, dans les deux mois, une décision d'opposition à l'acceptation de cette libéralité.

 

Réponse du Conseil d’Etat :

 

Le Conseil d’Etat vise l'article 910-2ème alinéa du code civil aux termes duquel les dispositions entre vifs ou par testament au profit des associations ayant la capacité à recevoir des libéralités sont acceptées librement par celles-ci.

 

Si le représentant de l'Etat dans le département constate que l'organisme légataire ou donataire ne satisfait pas aux conditions légales exigées pour avoir la capacité juridique à recevoir des libéralités ou qu'il n'est pas apte à utiliser la libéralité conformément à son objet statutaire, il peut former opposition à la libéralité, dans des conditions précisées par décret, la privant ainsi d'effet.

 

L’article 1er du décret du 11 mai 2007 relatif aux associations, fondations, congrégations et établissements publics du culte et portant application de l'article 910 du code civil lequel prévoit notamment que : «  (...) Toute association ou établissement mentionné à l'article 910 du code civil, bénéficiaire d'une libéralité entre vifs, la déclare aussitôt au préfet du département où l'établissement ou l'association a son siège. »

 

La déclaration au préfet est accompagnée des documents suivants :

 

-la justification de l'acceptation de la libéralité,

 

-ainsi que, le cas échéant, la justification de l'aptitude de l'association ou de l'établissement bénéficiaire à en exécuter les charges ou à en satisfaire les conditions compte tenu de son objet statutaire.

Il résulte de ces dispositions que les libéralités consenties au profit des associations qui satisfont aux conditions légales exigées leur donnant capacité juridique pour recevoir des libéralités doivent pouvoir être utilisées conformément à leur objet statutaire.

 

Ces libéralités peuvent être grevées de charges et de conditions, sous réserve toutefois que l'association légataire soit apte à les exécuter compte tenu de son objet.

 

L'article 6 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association dans sa rédaction issue de la loi du 31 juillet 2014 relative à l'économie sociale et solidaire, dispose que:

 

"Toute association régulièrement déclarée peut, sans aucune autorisation spéciale, ester en justice, recevoir des dons manuels ainsi que des dons d'établissements d'utilité publique, acquérir à titre onéreux, posséder et administrer, en dehors des subventions de l'Etat, des régions, des départements, des communes et de leurs établissements publics : (...) 3° les immeubles strictement nécessaires à l'accomplissement du but qu'elle se propose.

Les associations déclarées depuis trois ans au moins et dont l'ensemble des activités est mentionné au b du 1 de l'article 200 du code général des impôts peuvent en outre :

 a) Accepter les libéralités entre vifs ou testamentaires, dans des conditions fixées à l'article 910 du code civil ;

b) Posséder et administrer tous immeubles acquis à titre gratuit (...) ".

 

En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que Mme A... a institué l'Association Fraternité française légataire universelle de ses biens meubles et immeubles, à charge pour l'association de suivre ses dernières volontés, lesquelles prévoient que l'association donnera la jouissance exclusive sans indication de limite de temps, à titre gratuit, au mouvement Front National pour l'Unité Française (FN) - devenu Rassemblement national - de ses quatre biens immobiliers à l'exception du deuxième étage et des greniers de sa propriété de Sanary-sur-Mer (Var), du 1er août au 31 janvier de chaque année, de la jouissance de sa propriété du Cap Ferret (Gironde) au bénéfice de sa nièce, jusqu'à son décès et du 2e étage et de la chambre sous comble de sa propriété de Versailles (Yvelines).

 

Or, la mise à disposition d'un immeuble à une autre personne morale, en l'espèce d'un parti politique, est incompatible avec l'objet statutaire d'une association qui poursuit un but de bienfaisance à l'égard des personnes physiques les plus démunies.

 

D'autre part, les charges dont sont grevés, en très grande partie, les immeubles en cause, consistant en leur mise à disposition gratuite, pour un temps illimité, font obstacle à ce que cette association retire des biens en cause un avantage économique suffisant.

 

Il résulte de ce qui précède que l'Association Fraternité française, bénéficiaire du leg, n'est pas fondée à se plaindre de ce que, la décision du 22 mars 2018 du préfet de l'Isère soit annulée et que soit enjoint à ce dernier de prendre une décision d'opposition sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative.

 

Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Association Fraternité française les frais et dépens globalement à M. F... et autres, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

 

CE 17 juin 2024, n° 471531

 

 

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