Contrats et obligations conventionnelles : effets à l'égard des tiers et limites de la responsabilité s'appliquant entre les contractants
Le tiers à un contrat qui invoque, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel qui lui a causé un dommage peut se voir opposer les conditions et limites de la responsabilité qui s'appliquent dans les relations entre les contractants.
Telle et la position de la Cour de cassation aux termes d’un arrêt du 3 juillet 2024.
Les faits sont les suivants :
La société Aetna Group Spa, spécialisée dans la production de machines fabriquant des emballages, a fait transporter plusieurs machines d'Italie en France en vue de leur exposition dans un salon professionnel à Paris.
Par contrat passé en novembre 2014, la société Aetna Group France a confié à la société Clamageran expositions, la manutention et le déchargement de ces machines à l'issue de leur transport.
L'une d'elles ayant été endommagée alors qu'elle était manipulée par un employé de la société Clamageran, la société Aetna Group Spa a obtenu une indemnité de son assureur, la société Itas Mutua.
Subrogée dans les droits de son assurée, la société Itas Mutua a assigné la société Clamageran en paiement de dommages et intérêts.
La société Clamageran a relevé appel du jugement ayant accueilli cette demande.
La société Clamageran fait grief à l'arrêt de la cour d’appel de Paris notamment de déclarer la société Clamageran responsable à l'égard de la société Aetna Group Spa, sur le fondement délictuel, des dommages résultant de la faute contractuelle commise dans l'exécution du contrat de prestation de service conclu avec la société Aetna Group France.
Réponse de la Cour de cassation :
La Cour de cassation vise les articles 1134 et 1165 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et l'article 1382, devenu 1240, du même code aux termes duquel, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
La Cour de cassation rappelle qu’a été jugé que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage (Ass. plén., 6 octobre 2006, pourvoi n° 05-13.255, Bull. 2006, Ass. plén, n° 9) et que s'il établit un lien de causalité entre ce manquement contractuel et le dommage qu'il subit, il n'est pas tenu de démontrer une faute délictuelle ou quasi délictuelle distincte de ce manquement (Ass. plén. 13 janvier 2020, pourvoi n° 17-19.963, publié au bulletin).
Pour la Cour de cassation afin de ne pas déjouer les prévisions du débiteur, qui s'est engagé en considération de l'économie générale du contrat et ne pas conférer au tiers qui invoque le contrat une position plus avantageuse que celle dont peut se prévaloir le créancier lui-même, le tiers à un contrat qui invoque, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel qui lui a causé un dommage peut se voir opposer les conditions et limites de la responsabilité qui s'appliquent dans les relations entre les contractants.
Pour condamner la société Clamageran à payer la somme de 100 000 euros à la société Itas Mutua, l'arrêt de la cour d’appel de Paris rendu le 21 janvier 2021 (pôle 5, chambre 5), après avoir énoncé que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage, retient que les clauses limitatives de responsabilité issues des conditions générales du contrat conclu entre la société Clamageran et la société Aetna Group France sont inopposables à la société Itas Mutua, subrogée dans les droits de la société Aetna Group Spa.
La Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la cour d’appel laquelle en statuant ainsi, a violé les textes susvisés.
Cour de cassation, 3 juillet
2024, 21-14.947, Publié au bulletin