Assurance vie: étendue et limite du devoir de conseil du banquier en matière fiscale
Le banquier a un devoir de conseil concernant la souscription d’un contrat d’assurance vie par un assuré concernant les conséquences fiscales générées au titre de ce contrat pour les bénéficiaires de cette assurance vie.
Tel est l’objet de l’arrêt rendu par la cour d’appel de Montpellier le 22 nov. 2022 (n° 20/04167).
Les faits sont les suivants :
[S] [T] est décédée laissant pour lui succéder deux neveux .
Par courrier en date du 21 septembre 2018, la SA Banque populaire du sud indiquait au notaire chargé de la succession qu'elle était titulaire notamment de deux contrats d'assurance vie:
-un contrat Fructi Placement souscrit le 26 novembre 1990,
- et un contrat Libressur Selection Vie souscrit le 15 décembre 1999.
En application de l'article 757 B du code général des impôts, des droits de succession ont été supportés par chaque héritier, venant en déduction des sommes réglées dans le cadre du contrat Libressur Selection Vie souscrit le 15 décembre 1999.
Par ailleurs, chaque héritier était taxé à hauteur de 55 % sur le montant des avoirs bancaires (comptes épargne).
Le 4 novembre 2019, MM. [T] ont interrogé la Banque populaire du sud sur l'opportunité d'avoir fait souscrire à la défunte, le 15 décembre 1999, à l'âge de 78 ans un nouveau contrat d'assurance-vie, alors que le premier contrat d'assurance-vie qu'elle détenait était exonéré de tous droits de succession.
Par courrier du 10 janvier 2019, la Banque populaire du sud répondait que la structure des deux contrats d'assurance-vie était différente, le plus ancien étant un contrat mono-support alors que le second était « multi-support en unité de compte et a été utilisé avec une allocation d'actifs diversifiée afin de pouvoir bénéficier d'un plus large spectre de possibilité de rendement ».
[K] [T] et [M] [T] sollicitent de voir, aux termes de leurs conclusions le 28 juillet 2021 de dire et juger que :
- dans le cadre du déblocage des fonds dont ils étaient bénéficiaires dans le cadre du contrat d'assurance vie n°10989005625, ils ont dû régler des droits de mutation,
- dans le cadre du déblocage des fonds dont ils étaient bénéficiaires dans le cadre des avoirs bancaires de Mme [S] [T], ils ont dû régler des droits de mutation à hauteur de 55 % sur le montant des avoirs bancaires (comptes épargne).
Or Mme [S] [T] bénéficiait d'un contrat d'assurance vie souscrit auprès de la Banque Populaire du Sud depuis le 26 novembre 1990 lui permettant de faire bénéficier d'un abattement fiscal intégral .
La Banque Populaire du Sud aurait failli à son obligation d'information et de conseil envers Mme [S] [T].
Position de la cour d’appel sur la responsabilité de la banque :
La cour d’appel vise l'article 1147 du code civil, lequel dans sa version antérieure à l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 applicable en l'espèce, prévoit que le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère, qui ne peut lui être imputée encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.
La Banque populaire du sud concède qu'elle était, de manière générale, débitrice au profit de Mme [T] d'un devoir de conseil, circonscrit par son devoir de non-immixtion.
La pluralité (près d'une trentaine) de placements, sur des comptes épargne (livret A, livret B, CEL,PEL, livret de développement durable, PEP...) et des comptes titres, effectués par Mme [T] auprès de trois établissements bancaires distincts ainsi que la souscription de plusieurs contrats d'assurance-vie montrent que celle-ci souhaitait diversifier et multiplier ses avoirs bancaires, ce que la banque se devait de respecter compte tenu de son obligation de non-ingérence.
Ces contrats permettaient à Mme [T] de constituer une épargne disponible (avec un taux de rendement limité).
Les fonds figurant sur ces comptes ne faisaient l'objet d'aucune législation particulière relative à leur transmission à cause de décès.
Leur placement ne relève pas des obligations pesant sur le banquier en qualité de prestataire de services d'investissement.
Il n'est pas soutenu que Mme [T] avait confié à la Banque populaire du sud un mandat de gestion et de conseil en investissement dans le cadre de ces placements. Elle est ainsi restée maître de son choix manifeste d'être titulaire d'une multitude de comptes.
Il en résulte qu'aucun manquement au devoir de conseil dans l'ouverture et le versement de sommes sur des comptes bancaires, destinés à l'épargne, ouverts dans ses livres (une quinzaine) en lieu et place d'une alimentation du contrat d'assurance-vie ouvert en 1990 ne peut être retenu.
Cependant concernant les contrats d'assurance-vie souscrits par Mme [T] les 26 novembre 1990 et 15 décembre 1999, ceux- ci avaient pour vocation la réalisation d'un investissement, à plus ou moins long terme, selon des modalités différentes (capital garanti ou pas et taux de rendement plus ou moins avantageux) ainsi que la transmission à son décès, le cas échéant, de cette épargne dans des conditions favorables fiscalement pour les bénéficiaires.
En effet, si la vocation successorale d'un contrat d'assurance-vie n'est pas automatique, elle en est consubstantielle, étant, à ce titre, réglementée par les dispositions de l'article 757 B du code général des impôts.
La diversité des comptes et contrats d'assurance-vie souscrits par Mme [T] ne peut suffire à lui conférer la qualité de cliente avertie concernant les incidences en matière d'imposition des contrats d’assurance-vie, qui relèvent de connaissances spécialisées, la législation ayant, par ailleurs, été modifiée depuis la souscription du premier contrat en 1990 (imposition au-delà d'un plafond quant aux primes versées -152 500 euros ou 30 500 euros- et à l'âge de l'assuré -70 ans).
La banque était ainsi tenue d'éclairer sa cliente, assurée souscripteur, sur l'adéquation du produit souscrit en 1999 à sa situation personnelle, qu'elle ne dénie pas connaître.
Il n'est pas contesté que la date de souscription du premier contrat d'assurance-vie (1990) permettait d'exonérer de tout droit de mutation par décès les bénéficiaires.
La banque n'établit pas qu'elle a informé et averti sa cliente des conséquences découlant de l'ouverture d'un second contrat d'assurance-vie alors qu'elle était âgée de 77 ans et qu'elle envisageait d'y verser des sommes supérieures au seuil défini par l'article 757 B du code général des impôts (74 592,02 euros) par le biais, par exemple, d'un compte-rendu de rendez-vous avec un conseiller clientèle ou de l'établissement d'un document, explicitant l'existence de droits de mutation pour les éventuels bénéficiaires.
Elle a ainsi failli à son devoir de conseil.
Si ce manquement n'est pas à l'origine des droits que les bénéficiaires ont supportés, puisque ceux-ci étaient dûs de par la loi, il a généré un préjudice en termes de risque d'imposition que le respect du devoir de conseil du banquier, aurait pu permettre d'éviter.
Les intimés indiquent eux-mêmes que la banque leur a fait perdre une chance d'agir autrement, de sorte que le préjudice sera fixé à hauteur de la moitié des droits payés.
En conclusion :
La cour d’appel retient que la SA Banque populaire du sud n'a pas commis de manquement à son devoir de conseil concernant les versements effectués sur les contrats épargne et titres ouverts dans ses livres.
La cour rejette en conséquence les demandes en paiement, formées par [K] [T] et [M] [T], à ce titre .
Par contre, la cour fait valoir que la SA Banque populaire du sud a engagé sa responsabilité au titre de son devoir de conseil dans le cadre de la souscription par [S] [T] d'un contrat d'assurance-vie le 15 décembre 1999.
Si ce manquement n'est pas à l'origine des droits que les bénéficiaires ont supportés, puisque ceux-ci étaient dus de par la loi, il a généré un préjudice en termes de risque d'imposition que le respect du devoir de conseil du banquier, aurait pu permettre d'éviter de sorte que le préjudice sera fixé à hauteur de la moitié des droits payés.
CA Montpellier, 22 nov. 2022, n° 20/04167
AL AVOCATS / ASSOUS-LEGRAND