Perte de l’ouvrage avant la réception : conséquences pour l’entrepreneur
Si la chose a péri avant d'avoir été livrée, l'entrepreneur est tenu de restituer les sommes perçues du maître d'ouvrage en exécution de sa prestation, peu important la cause de cette destruction et notamment le fait qu'il ait ou non commis une faute.
Ce principe a été retenu par la Cour de cassation aux termes d’un arrêt du 25 mai 2022.
Les faits sont les suivants :
Mme [K] a fait construire une maison d'habitation dont elle a confié le lot gros œuvre à la société Dherbey Coux, assurée auprès de la société MMA, le lot étanchéité à la société Eco Protect, assurée auprès de la société Generali IARD (la société Generali), et le lot ossature bois – façades bardage – étanchéité revêtement terrasse extérieure à la société Charpente contemporaine, assurée auprès de la SMABTP.
Un incendie s'est déclaré dans l'ouvrage en construction, avant sa réception.
Mme [K] fait grief à l'arrêt de la cour d’appel (Chambéry, 16 mars 2021), rendu en référé, de rejeter ses demandes de provisions dirigées contre les sociétés Dherbey Coux, Eco Protect, Charpente contemporaine et leurs assureurs respectifs, à savoir les sociétés MMA, Generali et SMABTP, alors « que si la chose a péri avant d'avoir été livrée, l'entrepreneur est tenu de restituer les sommes perçues du maître d'ouvrage en exécution de sa prestation, peu important la cause de cette destruction et notamment le fait qu'il ait ou non commis une faute. »
De plus, une expertise était en cours avec pour mission notamment donnée à l'expert de rechercher les causes de l'incendie et vérifier s'il n'était pas imputable à une faute d'imprudence de l'une des entreprises présentes sur le chantier le jour de l'incendie.
Position de la Cour de cassation :
La Cour de cassation vise :
-l’article 835, alinéa 2, du code de procédure civile selon lequel, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le juge des référés peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
-l’article 1788 du code civil, dans le cas où l'ouvrier fournit la matière, si la chose vient à périr, de quelque manière que ce soit, avant d'être livrée, la perte en est pour l'ouvrier, à moins que le maître ne fût en demeure de recevoir la chose.
La Cour de cassation relève que la charge du risque n'est pas diminuée ou supprimée si l'événement qui a causé la perte de l'ouvrage revêt le caractère de force majeure pour l'entrepreneur (1re Civ., 9 novembre 1999, pourvoi n° 97-16.306, 97-16.800, Bull. 1999, I, n° 293).
De même, sauf son recours contre les constructeurs fautifs, l'entrepreneur non fautif qui a fourni la matière et dont l'ouvrage a péri avant la réception ne peut prétendre au paiement du prix des travaux qu'il n'est pas en mesure de livrer.
Par ailleurs, le maître de l'ouvrage peut agir sur le fondement de l'article 1788 du code civil, en dehors de toute recherche de responsabilité, même lorsque la cause des dommages demeure inconnue et même s'il est établi qu'elle réside dans une mauvaise exécution, par l'entrepreneur, de ses obligations contractuelles, dès lors que la demande ne porte que sur la reconstruction de l'ouvrage dans les conditions du marché initial ou sur la restitution du prix payé.
En l'espèce, la cour d’appel retient que l'application ou non des dispositions de l'article 1788 du code civil est subordonnée au résultat des investigations de l'expert quant à la cause du sinistre, inconnue ou imputable à une entreprise, de sorte que la demande prématurée formée par Mme [K] se heurte à une contestation sérieuse.
Selon la Cour de cassation, en statuant ainsi, alors que les fautes éventuellement commises par les constructeurs et qui avaient pu être à l'origine de la destruction de la maison, n'empêchaient pas le maître de l'ouvrage de réclamer aux entrepreneurs, en dehors de toute recherche de responsabilité, la restitution par provision du prix des travaux qu'ils n'étaient pas en mesure de livrer, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 25 mai 2022, 21-18.098, Publié au bulletin