Congé pour reprise : la constitutionalité des conditions imposées au bailleur est posée
Propriétaires d'un logement donné à bail en 2012, M. et Mme [T] [R] [W] (les bailleurs) ont délivré, à leurs locataires M. [M] [N] [K] et Mme [H] le 20 décembre 2017, un congé aux fins de reprise pour habiter, sans leur proposer un logement correspondant à leurs besoins et à leurs possibilités, dans les limites géographiques conformément aux dispositions légales.
En effet, il apparait parfois difficile pour le propriétaire de proposer, aux locataires âgés de plus de 65 ans et de faibles revenus expulsés, un logement de remplacement conforme aux dispositions de la loi du 6 juillet 1989 dans certains secteurs où il existe un déséquilibre entre l’offre et la demande de logements.
Les bailleurs ont assigné les locataires en validation de ce congé et en expulsion.
A l'occasion du pourvoi qu'ils ont formé contre l'arrêt rendu le 21 juin 2022 par la cour d'appel de Paris, les bailleurs ont, par mémoire distinct et motivé, demandé le renvoi au Conseil constitutionnel de la question prioritaire de constitutionnalité suivante:
« L'article 15 III de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, en ce qu'il impose au bailleur personne physique qui justifie d'un motif légitime de reprendre son bien pour l'habiter, de proposer à son locataire âgé de plus de 65 ans et ne disposant que de faibles revenus, un logement correspondant à ses besoins et à ses possibilités dans des limites géographiques déterminées, porte-t-il au droit de propriété consacré à l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, une atteinte disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi, compte tenu de l'impossibilité pour le bailleur, lorsque le bail est ancien et que le logement se situe dans une zone où les loyers sont excessivement élevés, de proposer un tel logement, faute qu'il s'en trouve sur le marché locatif privé ? »
Examen de la question prioritaire de constitutionnalité
La disposition contestée est applicable au litige qui porte sur la validité d'un congé en ce qu'elle détermine les limites géographiques de l'offre de relogement, elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.
La question présente donc un caractère sérieux.
En premier lieu, la disposition contestée en ce qu'elle impose au bailleur, qui entend s'opposer au renouvellement du bail, en délivrant congé à un locataire âgé de plus de soixante-cinq ans et dont les ressources annuelles sont inférieures à un plafond, de lui proposer un relogement correspondant à ses besoins et à ses possibilités, dans un périmètre géographique strictement défini, porte atteinte aux conditions d'exercice du droit de propriété du bailleur.
En second lieu, cette atteinte pourrait être considérée comme disproportionnée, dès lors que l'état du marché locatif dans le secteur concerné est susceptible de rendre impossible la soumission par le bailleur, personne privée, d'une offre de relogement correspondant aux possibilités de locataires dont les ressources sont inférieures au plafond pour l'attribution de logements locatifs conventionnés.
En conséquence, il y a lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.
Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 30 mars 2023, 22-21.763, Publié au bulletin
AL AVOCATS / ASSOUS-LEGRAND