Pas d’action en garantie décennale pour l’usufruitier

 

Concernant la mise en jeu de la responsabilité à l'égard du maître de l'ouvrage, l’usufruitier qui n’est pas le propriétaire n’est pas habilité à mettre en jeu la garantie décennale mais conserve une action en responsabilité contractuelle.

 

Tel est l’objet de l’arrêt de la Cour de cassation en date du 16 novembre 2022.  

 

Faits et procédure

 

La société Giovellina a confié la réalisation de la charpente métallique et du revêtement d'un bâtiment à usage commercial à la société Bastia charpentes armatures (la société BCA), assurée auprès de la Société Mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP).

 

La société Giovellina a formé opposition à une ordonnance portant injonction de payer le solde du prix du marché à la société BCA et elle a formé des demandes reconventionnelles aux fins d'indemnisation de ses préjudices.

La société BCA a appelé la SMABTP en intervention forcée.

La société Giovellina fait valoir « que tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination . »

 

En énonçant que la société Giovellina, usufruitière, serait sans qualité pour agir en garantie décennale, tout en constatant qu'elle était liée à la société BCA par un contrat de louage d'ouvrage et qu'elle avait fait construire l'immeuble litigieux en qualité de maitresse d'ouvrage, la société Giovellina fait valoir que la cour d'appel (Bastia, 15 septembre 2021) a violé les articles 578 et 1792 du code civil.

 

Position de la Cour de cassation :

 

Concernant la responsabilité décennale :

 

L'usufruitier, quoique titulaire du droit de jouir de la chose comme le propriétaire, n'en est pas le propriétaire et ne peut donc exercer, en sa seule qualité d'usufruitier, l'action en garantie décennale que la loi attache à la propriété de l'ouvrage et non à sa jouissance.

 

C'est, dès lors, à bon droit que la cour d'appel, qui a relevé que la société Giovellina reconnaissait être usufruitière de l'ouvrage et devant laquelle elle ne prétendait pas avoir été mandatée par le nu-propriétaire, a retenu que cette société ne pouvait agir contre le constructeur et son assureur sur le fondement de la garantie décennale.

 

Le moyen n'est donc pas fondé.

 

Concernant la responsabilité contractuelle

 

La société Giovellina fait le même grief à l'arrêt de la cour d’appel, alors « qu'à le supposer sans qualité pour agir en garantie décennale, l'usufruitier lié par un contrat de louage d'ouvrage au constructeur, a en tout état de cause qualité pour agir en réparation de l'ensemble des désordres y compris de nature décennale, affectant l'ouvrage, sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun . »

 

Pour rejeter les demandes de la société Giovellina, la cour d’appel retient que les demandes reconventionnelles présentées par cette société, sous couvert d'être fondées sur la responsabilité contractuelle de la société BCA, s'avèrent être la conséquence des désordres allégués pour lesquels, sur le fondement de l'article 1792 du code civil, est recherchée la garantie décennale du constructeur.

 

Réponse de la Cour de cassation :

 

Aux termes de l’article 1134 du code civil, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

 

Aux termes de l’article 1147 du code civil , le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.

 

Selon la Cour de cassation il résulte de ces textes que l'usufruitier, qui n'a pas qualité pour agir sur le fondement de la garantie décennale, peut néanmoins agir, sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun, en réparation des dommages que lui cause la mauvaise exécution des contrats qu'il a conclus pour la construction de l'ouvrage, y compris les dommages affectant l'ouvrage.


Selon la Cour de cassation, en statuant comme elle l’a fait, alors qu'elle avait constaté que les travaux avaient été exécutés pour le compte de la société Giovellina, qui avait conclu le contrat d'entreprise et qui demandait la réparation des dommages résultant de la mauvaise exécution de ce contrat sur le fondement de la responsabilité contractuelle, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

 

Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 16 novembre 2022, 21-23.505, Publié au bulletin

 

AL AVOCATS / ASSOUS-LEGRAND 

 

 

 

 

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