A qui appartient l’action en nullité à l’encontre d’un bénéficiaire du droit de préemption : la notion d’acquéreur évincé
Aux termes de l’Article L412-8 du code rural et de la pêche maritime, après avoir été informé par le propriétaire de son intention de vendre, le notaire chargé d'instrumenter doit faire connaître au preneur bénéficiaire du droit de préemption, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par acte d'huissier de justice, le prix, les charges, les conditions et les modalités de la vente projetée, ainsi que, les nom et domicile de la personne qui se propose d'acquérir.
En cas de préemption, celui qui l'exerce bénéficie alors d'un délai de deux mois à compter de la date d'envoi de sa réponse au propriétaire vendeur pour réaliser l'acte de vente authentique ; passé ce délai, sa déclaration de préemption sera nulle de plein droit, quinze jours après une mise en demeure à lui faite par acte d'huissier de justice et restée sans effet. L'action en nullité appartient au propriétaire vendeur et à l'acquéreur évincé lors de la préemption.
Selon le texte ci-dessus seul l’acquéreur évincé peut engager une action en nullité à l‘encontre du bénéficiaire du droit de préemption.
Se pose la question de la définition de l’acquéreur évincé .
Cet acquéreur évincé doit-il disposer d’un accord ferme et définitif avec le vendeur ou la personne mentionnée dans l’acte de préemption qui se propose simplement d’acquérir doit-elle être considérée comme l’acquéreur évincé même sans disposer d’un accord ferme et définitif avec le vendeur ?
La Cour de cassation, aux termes d’un arrêt du 13 juin 2024, se prononce sur la notion d’acquéreur évincé et répond à cette question.
Faits et procédure :
Le 30 septembre 2016, la société d'aménagement foncier et d'établissement rural Auvergne-Rhône-Alpes (la SAFER), après avoir reçu communication d'un projet de vente de deux parcelles au profit de M. et Mme [D], a notifié sa décision de préempter.
Le 27 mars 2017, M. et Mme [D] ont mis en demeure la SAFER de régulariser l'acte de vente dans un délai de quinze jours.
Le même jour, ils l'ont assignée en nullité de sa décision de préemption.
La SAFER fait grief à l'arrêt de la cour d’appel (Riom, 5 juillet 2022) de juger recevable la demande de M. et Mme [D], de nullité du droit de préemption dont la SAFER est bénéficiaire alors :
« 1°/ que seul l'acquéreur évincé lors de la préemption peut agir en nullité à l'encontre de la décision de préemption ; qu'en conséquence, le demandeur à la nullité doit justifier d'un engagement ferme et définitif du propriétaire de lui vendre le bien et de son engagement corrélatif de l'acquérir . »
En l'espèce, la cour d'appel a constaté que les époux [D] ne démontraient pas avoir l'approbation unanime des propriétaires indivis pour leur vendre les parcelles seuls quatre indivisaires sur sept ayant consenti à la vente .
La SAFER fait valoir qu’en retenant néanmoins que les époux [D] seraient recevables à agir en nullité de la décision de préemption de la SAFER, la cour d'appel, aurait violé l'article L. 412-8 du code rural et de la pêche maritime, ensemble l'article 31 du code de procédure civile ;
De plus, « en retenant, pour déclarer recevable l'action en nullité de la décision de préemption formée par les époux [D], que le premier juge comme la SAFER - en exigeant que les époux [D] justifient de leur statut d'acquéreurs évincés - ajouteraient à l'article L. 412-8 une condition qu'il ne contiendrait pas, que ce texte dirait simplement que le notaire informé par le propriétaire de son intention de vendre communique au bénéficiaire de son droit de préemption les modalités de la vente projetée ainsi que les nom et domicile de la personne qui se propose d'acquérir, que le législateur n'exigerait donc nullement qu'un engagement ferme et définitif ait déjà été conclu entre les vendeurs et le candidat acquéreur de sorte que les époux [D] pourraient parfaitement être considérés comme la personne qui se propose d'acquérir au sens de l'article L. 412-8 du code rural et de la pêche maritime, la cour d'appel a violé cette disposition ensemble l'article 31 du code de procédure civile. »
La société d'aménagement foncier et d'établissement rural Auvergne-Rhône-Alpes (SAFER), a formé le pourvoi n° X 22-20.992 contre l'arrêt rendu le 5 juillet 2022 par la cour d'appel de Riom (1re chambre civile), dans le litige l’opposant à M. [M] [D],et à Mme [J] [W], épouse [D],défendeurs à la cassation.
Position de la Cour de cassation concernant le moyen se rapportant à la notion d’acquéreur évincé.
La Cour de cassation vise l'article L. 412-8 du code rural et de la pêche maritime et rappelle qu’au sens de ce texte, est un acquéreur évincé, ayant qualité pour agir en nullité de la déclaration de préemption pour défaut de réalisation de l'acte de vente authentique, la personne mentionnée, dans la notification adressée par le notaire au bénéficiaire du droit de préemption, comme celle qui se propose d'acquérir.
Ayant constaté que le notaire avait communiqué à la SAFER, au moyen d'un formulaire spécialement prévu à cet effet, l'information d'un projet de vente de parcelles au profit de M. et Mme [D], et énoncé, à bon droit, que l'article L. 412-8 du code rural et de la pêche maritime n'exige pas qu'un engagement ferme et définitif ait déjà été conclu entre les vendeurs et le candidat acquéreur, la cour d'appel en a exactement déduit que la demande en nullité introduite à l’encontre de la déclaration de préemption de la SAFER était recevable.
Le moyen développé par la SAFER n'est donc pas fondé.
Civ. 3e, 13 juin 2024, FS-B, n° 22-20.992