Bail commercial : droit de préemption du locataire en cas de vente
Suite à une cession de locaux commerciaux, un acte de vente unique avait été conclu, portant à la fois sur des locaux donnés à bail commercial et sur d’autres locaux appartenant à des propriétaires distincts.
La Cour de cassation aux termes d’un arrêt du 6 novembre 2025 retient que la cession réalisée par un acte de vente unique ne suffit pas à la qualifier de « cession unique » au sens de l'article L. 145-46-1 du code de commerce .
Le locataire conserve donc son droit de préemption sur le local qu’il occupe et ne peut être privé de son droit de préemption par le fait que le bailleur regroupe plusieurs cessions dans un acte unique.
La Cour de cassation aux termes d’un arrêt du 6 novembre 2025 rappelle ces principes
Faits et procédure
Par acte notarié du 12 novembre 2019, dressé par Mme [O], notaire associée au sein de la société Elite notaire, la société civile immobilière Delépine (la SCI) a acquis les lots n° 1, 21, 51, 52, 53 et 54, appartenant indivisément à MM. [D] et [I] [M] et Mme [C] [M] (les consorts [M]), ainsi que les lots n° 41, 55 et 56 appartenant à Mme [C] [M].
Les lots n° 21, 51, 52, 53 et 54 étaient donnés à bail commercial à la société immobilier (la locataire) et les lots n° 41, 55 et 56 étaient donnés à bail commercial à une autre société.
La locataire, se prévalant de l'article L. 145-46-1 du code de commerce, a assigné les consorts [M], la SCI, le notaire et la société notariale, en annulation de la vente et en condamnation à paiement de dommages-intérêts.
La locataire fait grief à l'arrêt de la cour d’appel de rejeter sa demande en annulation de la vente des lots n° 1, 21, 51, 52, 53 et 54 et des tantièmes de parties communes conclue le 12 novembre 2019 entre les consorts [M] et la SCI, alors :
- que le droit de préemption au bénéfice du locataire commercial prévu par les dispositions d'ordre public de l'article L. 145-46-1 du code de commerce doit trouver application toutes les fois que le propriétaire d'un local commercial ou artisanal envisage de le vendre ;
- qu'une exception à l'exercice de ce droit ce droit de préemption est seulement prévue en cas de cession unique de locaux commerciaux distincts ;
En l’espèce « les locaux distincts vendus n'avaient pas les mêmes propriétaires - le propriétaire du lot n° 1 étant l'indivision [M] et le propriétaire du lot n° 2 étant Mme [C] [M] seule - et qu'il ne pouvait donc s'agir d'une cession unique de locaux commerciaux distincts faisant valablement échec au droit de préemption du locataire, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article L. 145-46-1 du code de commerce . »
Réponse de la Cour de cassation :
Selon l'article L. 145-46-1, alinéa 1er, du code de commerce, lorsque le propriétaire d'un local à usage commercial ou artisanal envisage de vendre celui-ci, il en informe le locataire par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, ou remise en main propre contre récépissé ou émargement, cette notification valant offre de vente au preneur.
Selon le dernier alinéa du même texte, ces dispositions ne sont applicables ni à la cession globale d'un immeuble comprenant des locaux commerciaux ni à la cession unique de locaux commerciaux distincts.
Ne constitue pas une cession unique au sens de ce texte la cession par un acte de vente unique des locaux donnés à bail commercial et d'autres locaux appartenant respectivement à des propriétaires distincts. C'est donc à tort que la cour d'appel a retenu que la locataire n'était pas fondée à contester l'existence d'une cession unique au motif que les locaux n'appartenaient pas à un seul propriétaire.
Pour autant, l'arrêt de la cour d’appel n'encourt pas la censure dès lors que la cour d'appel a constaté que la vente par les consorts [M] n'avait pas porté seulement sur les lots n° 21, 51, 52, 53 et 54 mais également sur le lot n° 1 qui n'avait pas été donné à bail à la société immobilier.
En effet, il est jugé que le locataire à bail commercial ne bénéficie pas d'un droit de préférence lorsque le local pris à bail ne constitue qu'une partie de l'immeuble vendu (3e Civ., 19 juin 2025, pourvoi n° 23-17.604, publié ; 3e Civ., 19 juin 2025, pourvoi n° 23-19.292, publié).
Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, la décision déférée se trouve légalement justifiée.
En conséquence, la Cour rejette le pourvoi et condamne la société immobilier aux dépens.
C’est ce qui a conduit à rejeter le pourvoi la Cour de cassation retenant un autre motif juridique étant donné que le local loué ne constituait qu’une partie des lots cédés (il y avait aussi d’autres lots non loués).
Or, lorsqu’une vente porte sur un ensemble de locaux comprenant tant des lots loués que non loués, le droit de préemption du locataire ne joue pas.
Civ. 3e, 6 nov. 2025, n° 23-21.442, FS-B)