Garantie décennale : portée de la présomption de responsabilité

 

La Cour de cassation, aux termes d’un arrêt du 11 septembre 2025, tranche un point de droit à savoir l’application de l’article 1792 du code civil se rapportant à la mise en œuvre de la responsabilité décennale des constructeurs lorsque la cause exacte du sinistre n’est pas déterminée.

 

Il s’ensuit que lorsque la présomption de responsabilité est renforcée, l’entrepreneur ne peut s’exonérer qu’en démontrant une cause étrangère à l’origine des désordres.

 

Il en résulte un allègement au profit du maitre d’ouvrage de la charge de la preuve quant aux causes du sinistre.

 

 

Faits et procédure

 

M. [P] [O] (le maître de l'ouvrage) a confié à M. [E] [O] (l'entrepreneur), assuré auprès de la caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles d'Oc (la société Groupama), des travaux d'électricité pour les besoins de la construction d'une maison d'habitation.

 

Un contrat d'assurance multirisque-habitation a été souscrit par le maître de l'ouvrage auprès de la société Pacifica.

 

La maison a été détruite par un incendie le 9 décembre 2014.

 

Après expertise judiciaire, le maître de l'ouvrage et son assureur multirisque-habitation ont assigné l'entrepreneur et son assureur en indemnisation de leurs préjudices sur le fondement de la responsabilité décennale.

 

Le maître de l'ouvrage et son assureur font grief à l'arrêt de la cour d’appel de dire que la responsabilité décennale de l'entrepreneur n'est pas engagée.

 

La société Pacifica, et le maitre d’ouvrage M. [P] [O], ont formé le pourvoi n° S 24-10.139 contre l'arrêt rendu le 7 novembre 2023 par la cour d'appel de Toulouse (1re chambre Section1).

 

Réponse de la Cour de cassation

 

La Cour de cassation vise l'article 1792 du code civil .

 

Aux termes de ce texte, tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination. Une telle responsabilité n'a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère.

 

Il a par ailleurs été jugé que la présomption de responsabilité pesant sur les constructeurs qui résulte de ce texte est déterminée par la gravité des désordres, indépendamment de leur cause (3e Civ., 1er décembre 1999, pourvoi n° 98-13.252, publié).

 

Il est jugé que cette présomption doit être écartée lorsque les désordres ne sont pas imputables aux travaux réalisés par l'entrepreneur (3e Civ., 20 mai 2015, pourvoi n° 14-13.271, publié). En effet, la charge de cette présomption ne peut être étendue à des constructeurs dont il est exclu, de manière certaine, au regard de la nature ou du siège des désordres, que ceux-ci sont en lien avec leur sphère d'intervention.

 

Aux termes de l’arrêt de la Cour de cassation il résulte de ce texte :

 

- que, s'agissant du lien d'imputabilité, il suffit au maître de l'ouvrage d'établir qu'il ne peut être exclu, au regard de la nature ou du siège des désordres, que ceux-ci soient en lien avec la sphère d'intervention du constructeur recherché,

 

- que, lorsque l'imputabilité est établie, la présomption de responsabilité décennale ne peut être écartée au motif que la cause des désordres demeure incertaine ou inconnue, le constructeur ne pouvant alors s'exonérer qu'en démontrant que les désordres sont dus à une cause étrangère.

 

Or, pour dire que la responsabilité décennale de l'entrepreneur n'est pas engagée, l'arrêt de la cour d’appel retient que, si le sinistre a pris naissance dans le tableau électrique, il n'est pas démontré avec certitude qu'il est en lien avec un vice de construction ou une non-conformité affectant cet élément, l'expert n'ayant pu faire de constatations techniques suffisantes au regard de son état de dégradation, et ayant raisonné en écartant des hypothèses telles que l'acte de malveillance ou le défaut d'alimentation électrique externe, sans pouvoir être formel.

 

La cour d’appel en déduit qu'il n'est pas démontré que le sinistre est imputable aux travaux électriques réalisés par l'entrepreneur, lequel n'a pas la charge de démontrer une cause étrangère en l'absence d'imputabilité certaine.

 

La Cour de cassation retient qu’en statuant ainsi, par des motifs impropres à exclure un lien d'imputabilité entre les dommages et les travaux de l'entrepreneur, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

 

Par ces motifs, la Cour de cassation casse et annule, sauf en ce qu'il déclare la société Pacifica recevable à agir, l'arrêt rendu le 7 novembre 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse.

 

Civ. 3e, 11 sept. 2025, FS-B, n° 24-10.139

 

 

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