Quand l’acte médical fautif autorise une indemnisation par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM)

 

La Cour de cassation, aux termes d’un arrêt en date du 24 avril 2024, précise les modalités et circonstances permettant la prise en charge par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), de la réparation financière d’une faute médicale.

 

Désormais la Cour de cassation permet une meilleure prise charge des préjudices subis par un patient suite à un acte médical fautif alors que cette faute n’est pas complétement supportée par l’hôpital ou l’auteur.

 

Auparavant une distinction était faite :

 

-lorsque seul l’acte médical fautif a généré le préjudice auquel cas la prise ne charge est assurée par l’établissement de santé,

- mais dans l’hypothèse où le préjudice médical n’a pour origine aucune faute du praticien alors la prise en charge est assurée par l’ONIAM.

 

Dans la présente espèce la Cour de cassation adopte une position intermédiaire.

 

 

Les faits sont les suivants :

 

Le 3 janvier 2009, Mme [U], présentant des douleurs dans la région latéro-pubienne a été prise en charge au sein d’un centre hospitalier par M. [L], chirurgien salarié, qui a procédé, le 19 janvier 2009, à une exploration sous anesthésie locale, sans déceler aucune hernie crurale ou inguinale.

 

Les douleurs ayant persisté un examen par imagerie à résonance magnétique mettant en évidence une formation kystique sous-cutanée correspondant à une hernie inguinale atypique.

 

Au cours de l’intervention réalisé en conséquence, Mme [U] a subi une atteinte du nerf génito-fémoral à l'origine d'une névralgie.

 

Le 17 novembre 2016, M. et Mme [U] ont assigné en responsabilité et indemnisation le centre hospitalier et son assureur, la Société hospitalière d'assurances mutuelles, et mis en cause la caisse primaire d'assurance maladie .

 

Le 16 mai 2019, ils ont appelé l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (l'ONIAM) en la cause.

 

L'ONIAM fait grief à l'arrêt de la cour d’appel de le condamner à payer à Mme [U] des dommages et intérêts au titre de réparation de son préjudice alors « que lorsqu'une faute a été commise lors de la réalisation de l'acte médical qui est à l'origine du dommage, cette faute est exclusive d'une indemnisation au titre de la solidarité nationale fondée sur les risques que comportait cet acte . »

 

Or, la cour d’appel a retenu que le chirurgien a commis des fautes ayant consisté en l'absence de repérage et de traitement de la hernie durant la première intervention et en la pose inutile d'une plaque lors de la seconde intervention.

 

L’ONIAM reproche à la cour d’appel de mettre à sa charge la réparation des conséquences d’un acte médical reconnu fautif, la cour d’appel de Lyon aurait violé l’article L. 1142-1 du code de la santé publique.

 

Réponse de la Cour de cassation

 

La Cour de cassation vise le I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique.

 

Aux termes de cet article, les professionnels de santé et les établissements, services ou organismes dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute.

 

Selon le II de ce texte, ouvrent droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un accident médical, une affection iatrogène, ou une infection nosocomiale, directement imputables à des actes de prévention de diagnostic ou de soins, ayant eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentant un caractère de gravité fixé par décret, lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I n'est pas engagée.

 

Il résulte de ces dispositions que l'indemnisation au titre de la solidarité nationale présente un caractère subsidiaire et est exclue lorsqu'une faute est la cause du dommage corporel subi par le patient dont la réparation incombe alors au seul professionnel de la santé.

 

Cependant, la Cour de cassation retient qu’il existe une situation intermédiaire lorsque la réparation mise à la charge du responsable consiste seulement en une perte de chance.

 

Dans cette hypothèse la Cour de cassation a admis un complément d'indemnisation au titre de la solidarité nationale dans le cas :

- d'un défaut d'information sur les risques d'une intervention au cours de laquelle est survenu un accident médical, ayant fait perdre au patient une chance de la refuser (1re Civ. 11 mars 2010, pourvoi n° 09-11.270, Bull. 2010, I, n° 63) ,

- ou d'une prise en charge fautive des conséquences d'un accident médical lui ayant fait perdre une chance d'en limiter les conséquences (1re Civ. 22 novembre 2017, pourvoi n° 16-24.769).

 

Cependant, la Cour de cassation avait exclu la possibilité d'un tel complément, fondé sur les risques que comportait l'acte médical, lorsque la faute a été commise au moment de la réalisation de l'acte médical qui est à l'origine du dommage (1re Civ., 16 novembre 2016, pourvoi n° 15-20.611, Bull. 2016, I, n° 222).

 

La Cour de cassation rappelle à cet égard que si le Conseil d'Etat a adopté la même jurisprudence dans le cas d'un défaut d'information ou d'une prise en charge fautive des conséquences d'un acte médical (CE, 30 mars 2011, n° 327669, publié au Recueil Lebon ; CE, 12 décembre 2014, ONIAM c. [N], n° 355052, publié au Recueil Lebon), le Conseil d’Etat  n'a, en revanche, écarté la possibilité d'un complément d'indemnisation au titre de la solidarité nationale que dans l'hypothèse où un acte fautif ou le défaut d'un produit de santé est la cause directe de l'accident médical (CE, 15 octobre 2021, n° 431291, publié au Recueil Lebon).

 

Il résulte de la jurisprudence administrative que dans le secteur public, la victime doit prouver le caractère non fautif de l’accident médical, sans que le moment de la faute soit un obstacle, alors que dans le secteur privé, la victime pourrait se voir refuser ce complément d’indemnisation en cas de réalisation de la faute au moment de l’accomplissement de l’acte médical, en raison de la présomption de responsabilité qui en résulte indépendamment de la question de savoir si cette faute a été la cause de l’accident en lui-même.

 

La Cour de cassation, au vu de ces différents éléments décide qu’il y a donc lieu de juger désormais que, dans l'hypothèse où un accident médical non fautif est à l'origine de conséquences dommageables mais où une faute a augmenté les risques de sa survenue et fait perdre une chance à la victime d'y échapper, un tel accident ouvre droit à réparation au titre de la solidarité nationale si ses conséquences remplissent les conditions posées au II de l'article L. 1142-1 du même code.

 

L'indemnité due par l'ONIAM sera réduite du montant de celle mise, le cas échéant, à la charge du responsable de la perte de chance.

 

En l’espèce après avoir admis l'existence de fautes du chirurgien dans la prise en charge de Mme [U] ayant augmenté le risque d'atteinte du nerf génito-fémoral inhérent à l'intervention du 4 mars 2009 et lui ayant fait perdre une chance de 50 % d'échapper à sa réalisation, la cour d'appel a retenu que cette atteinte constituait un accident médical directement imputable à cette intervention et que cet accident avait eu pour Mme [U] des conséquences anormales au regard de son état de santé et présentait le caractère de gravité prévu à l'article L. 1141-2, II, du code de la santé publique.

 

C'est dès lors à bon droit qu'elle en a déduit que l'ONIAM devait l'indemniser de ses préjudices, déduction faite de l'indemnité mise à la charge du centre hospitalier et de son assureur.

 

Le moyen n'est donc pas fondé.

 

Par ces motifs, la Cour de cassation rejette le pourvoi introduit par l’ONIAM.

 

Civ. 1re, 24 avr. 2024, FS-B, n° 23-11.059

 

 

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