Arrêt des traitements médicaux :une décision difficile à prendre

 

En présence d'un patient victime de lésions cérébrales graves, qui se trouve dans un état végétatif ou dans un état de conscience minimale le mettant hors d'état d'exprimer sa volonté de poursuivre des traitements susceptibles d’être arrêtés, le maintien de ces traitements, peut traduire une obstination déraisonnable selon l’avis du corps médical mais en opposition avec les demandes de la famille.

 

C’est dans un tel contexte face à une situation humaine et médicale délicate que la justice peut être amenée à trancher .

 

Tel est l’objet de l’arrêt rendu par le Conseil d’Etat le 10 janvier 2024 en rappelant très précisément le contexte juridique applicable de façon à respecter le droit fondamental à la protection de la santé (les articles L. 1110-1, L. 1110-2 , L. 1110-5, L. 1110-5-1, L. 1111-4, L. 1111-11, R. 4127-37-1, R. 4127-37-2 du code la santé publique).

 

Le Conseil d’Etat rappelle que le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2017-632 QPC du 2 juin 2017, retient qu'il appartient au médecin en charge d'un patient, lorsque celui-ci est hors d'état d'exprimer sa volonté, d'arrêter ou de ne pas mettre en œuvre, au titre du refus de l'obstination déraisonnable, les traitements qui apparaissent inutiles, disproportionnés ou sans autre effet que le seul maintien artificiel de la vie.

 

 

Les faits sont les suivants :

 

Le Dr. Couturier, médecin au service d'anesthésie et de réanimation du centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne, a décidé l'arrêt des thérapeutiques prodiguées à M. B... D... à compter du 7 décembre 2023.

 

Mme C... D... sœur du patient, a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lyon statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative de suspendre l'exécution de la décision du 23 novembre 2023 d’arrêter les thérapeutiques.

 

Par une ordonnance n° 2310123 du 7 décembre 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

 

Par une requête et un mémoire en réplique, , Mme D... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative notamment:

 

1°) d'annuler l'ordonnance du 7 décembre 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Lyon ;

2°) de suspendre l'exécution de la décision portant arrêt des soins prodigués à M. D... ;

3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise médicale .

 

Par un mémoire en défense et un nouveau mémoire, enregistrés les 3 et 5 janvier 2024, le centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne conclut au rejet de la requête.

 

Par un mémoire en intervention, enregistré le 3 janvier 2024, Mme F... A... compagne de M. D... et mère de leurs deux enfants demande au juge des référés de faire droit aux conclusions de la requête.

 

Le Conseil d’Etat rappelle les circonstances de l’affaire à savoir:

 

M. D..., né le 26 août 1988 et souffrant d'hypertension artérielle maligne, a été admis le 18 octobre 2023 dans l'unité de réanimation B du service d'anesthésie et de réanimation du centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne en état de coma spontané profond à la suite d'un accident vasculaire hémorragique massif au niveau du tronc cérébral ayant généré un volumineux hématome.

 

Le pronostic neurologique de l'intéressé est apparu d'emblée très péjoratif, eu égard à l'importance et à la localisation de l'hématome, et aucune intervention neurochirurgicale ni tentative de neuro-réanimation n'ont pu être pratiquées.

 

Les tentatives de transfert du patient dans un service de réanimation plus proche du domicile de sa famille se sont heurtées au refus de tous les services des hôpitaux contactés d'accepter ce patient, au vu de son état médical.

 

Sur la base de l'ensemble de la prise en charge et des examens pratiqués au cours des premières semaines du séjour de M. D..., l'équipe médicale chargée de son suivi, considérant que la poursuite des thérapeutiques actives constituerait une obstination déraisonnable dans des traitements apparaissant inutiles, disproportionnés ou sans autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, a engagé le 16 novembre 2023 la procédure collégiale prévue à l'article R. 4127-37-2 du code de la santé publique, qui a conduit à la décision, le 23 novembre 2023, de procéder à l'arrêt des soins et des traitements prodigués à M. D... à compter du 7 décembre suivant.

 

C'est dans ces circonstances et au regard de l'ensemble des éléments de l'instruction que, par une ordonnance du 7 décembre 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Lyon, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a rejeté la requête de Mme D... tendant à la suspension de l'exécution de la décision du 23 novembre 2023.
 

Mme D..., relève appel de l'ordonnance du 7 décembre 2023,  soutenant qu'il y a une certaine évolution positive de la situation médicale de son frère, que des bâillements et des mouvements oculaires, y compris à la demande, ont pu être constatés chez lui, que la réalisation d'un seul examen d'imagerie médicale, à très bref délai après l'accident vasculaire hémorragique, ne permet pas de s'assurer que la poursuite des soins serait inutile et que dans ces conditions, l'existence d'une obstination déraisonnable n'est pas caractérisée.

 

Position du Conseil d’Etat

 

Le Conseil d’Etat décide qu’eu égard à ces divergences dans l'appréciation de l'état du patient ainsi qu'à l'absence d'examen d'imagerie médicale toute récente, il y a lieu, avant que le juge des référés du Conseil d'Etat statue sur l'appel dont il est saisi, que soit ordonnée une expertise médicale.

 

En conséquence , le Conseil d’Etat ordonne qu’avant de statuer sur la requête, il sera procédé par un médecin, désigné par le président de la section du contentieux, à une expertise, diligentée de manière contradictoire, aux fins :

 

- de décrire l'état clinique actuel de M. D... et notamment son état de conscience ;

 

- de se prononcer sur le caractère irréversible de ses lésions cérébrales et sur le pronostic clinique.

 

Conseil d'État, Juge des référés, formation collégiale, 10/01/2024, 490403, Inédit au recueil Lebon

 

 

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