Bail commercial : indemnisation des dommages causés par des travaux publics

 

Si la juridiction judiciaire est compétente pour connaître d'une action en indemnisation formée par le preneur d'un local donné à bail commercial par une personne publique, la juridiction administrative est seule compétente pour connaître de l'action en indemnisation de dommages résultant de la réalisation de travaux publics.

 

Ce principe s’applique alors même qu'il existe un bail commercial entre la personne publique pour le compte de laquelle sont effectués les travaux et la victime de ces dommages.

 

Ainsi, la Cour de cassation, aux termes d’un arrêt du 24 mars 2024, retient qu’il appartient au juge judiciaire saisi d'une exception d'incompétence de déterminer si les demandes ne tendent pas à la réparation de dommages causés par des travaux publics.

 

Les faits sont les suivants :

 

Selon l'arrêt de la cour d’appel attaqué (Paris, 19 octobre 2022, RG n° 22/07667), la Ville de PARIS (la bailleresse), propriétaire d'un ensemble immobilier abritant le Théâtre du Chatelet, a donné à bail commercial à la société Zimmer (la locataire) des locaux à activité de brasserie-bar situés au sein de ce même ensemble.

 

Le Théâtre du Chatelet ayant fait l'objet de travaux de rénovation, la locataire a assigné la bailleresse en remboursement de loyers et de droits de voirie ainsi qu'en indemnisation de préjudices résultant de la réalisation des travaux.

 

La bailleresse a soulevé une exception d'incompétence au profit de la juridiction administrative.

 

La bailleresse fait grief à l'arrêt de la cour d’appel de rejeter son exception d'incompétence, alors que selon la bailleresse « pour trancher l'exception d'incompétence dont il est saisi, le juge statue, si nécessaire, sur les questions de fond dont dépend sa compétence. »

 

A cet égard, aux termes de son assignation, la société locataire invoquait un trouble anormal résultant de travaux réalisés non dans les locaux donnés à bail mais dans un ouvrage voisin, et sollicitait la réparation des préjudices de perte d'exploitation, de perte de valeur du fonds de commerce, de paiement sans contrepartie de droits de voirie et d'un préjudice moral.

 

La société Zimmer soutenait que ces préjudices étaient en lien avec la fermeture du Théâtre du Chatelet pendant la durée des travaux, la réalisation même des travaux et la pose de bâches publicitaires sur les façades du Théâtre et imputait à la Ville de Paris une faute pour avoir signé, le 22 mai 2017, une convention d'occupation du domaine public en vue de la pose de ces bâches, en méconnaissance des articles L. 621-29-8, R. 621-86 et R. 621-90 du code du patrimoine .

 

Après avoir constaté que les travaux incriminés sont des travaux publics, la cour d’appel relève, pour retenir la compétence des juridictions judiciaires, que la société Zimmer s'est fondée sur l'article 1719 du code civil et les articles 1134, 1147 et 1149 anciens du même code, en invoquant le défaut de jouissance paisible du local objet d'un bail de droit privé.

 

Selon la bailleresse, en retenant ainsi sa compétence, sans trancher au préalable la question de l'imputabilité du dommage à une faute du bailleur, question de fond dont dépendait la compétence du juge judiciaire, la cour d'appel a violé l'article 79 du code de procédure civile, ensemble la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III.

 

La Ville de PARIS, représentée par son maire en exercice, a formé le pourvoi n° G 22-24.222 contre l'arrêt rendu le 19 octobre 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 3), dans le litige l'opposant à la société Zimmer,  défenderesse à la cassation.

 

La Cour de cassation vise l'article 79 du code de procédure civile, la loi des 16-24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III et l'article 1719 du code civil :

 

Aux termes de l'article 79 du code de procédure civile, lorsqu'il ne se prononce pas sur le fond du litige, mais que la détermination de la compétence dépend d'une question de fond, le juge doit, dans le dispositif du jugement, statuer sur cette question de fond et sur la compétence par des dispositions distinctes.

 

Or la Cour de cassation retient qu’il résulte de la loi des 16-24 août 1790, et du décret du 16 fructidor an III que la juridiction administrative est seule compétente pour connaître de l'action en réparation des dommages survenus à l'occasion de la réalisation de travaux publics.

 

Selon l'article 1719 du code civil, le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière, de délivrer au preneur la chose louée et de l'en laisser jouir paisiblement pendant la durée du bail.

 

La Cour de cassation déduit de la combinaison de ces textes que si la juridiction judiciaire est compétente pour connaître d'une action en indemnisation formée par le preneur d'un local donné à bail commercial par une personne publique, la juridiction administrative est seule compétente pour connaître de l'action en indemnisation de dommages de travaux publics, alors même qu'il existe un bail commercial entre la personne publique pour le compte de laquelle sont effectués les travaux et la victime de ces dommages.

 

La Cour de cassation fait valoir en conséquence, qu’il appartient au juge judiciaire saisi d'une exception d'incompétence de déterminer, indépendamment du fondement juridique invoqué, si les demandes indemnitaires qui lui sont soumises tendent à la réparation de dommages causés par des travaux publics ou se rattachent à un fait générateur distinct de ces travaux publics.

 

A cet égard, pour écarter l'exception d'incompétence, la cour d'appel retient que la Ville de Paris ayant deux qualités, les préjudices invoqués, fussent-ils établis et imputables aux travaux incriminés, ne donneront lieu à réparation par le juge judiciaire qu'à la condition que soit établie une faute du bailleur, sans que puisse être invoquée la responsabilité sans faute du maître d'ouvrage public en cas de dommage anormal.

 

La Cour de cassation relève qu’en statuant ainsi, sans trancher la question de fond dont dépendait la compétence, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Par ces motifs, la Cour de cassation casse et annule, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 19 octobre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris .

 

Civ. 3e, 14 mars 2024, FS-B, n° 22-24.222

 

 

 

Version imprimable | Plan du site
©Cabinet d'Avocats ASSOUS-LEGRAND - AL AVOCATS - 01.40.47.57.57 - 112, rue de Vaugirard 75006 Paris