Inaptitude du salarié et reclassement professionnel

 

L’employeur doit s’efforcer de reclasser le salarié déclaré inapte, partiellement ou totalement, à reprendre son emploi initial. 

 

L’arrêt de la Cour de cassation précise la portée de cette obligation, l’employeur devant proposer un autre emploi correspondant aux capacités du salarié dans les conditions prévues par l’article L1226-2 du code du travail, tel qu’il résulte de la version en vigueur depuis le 01 janvier 2018.

 

En effet l’appréciation des conditions de reclassement se révèle très souvent délicates.

 

La Cour de cassation, aux termes de son arrêt du 13 mars 2024, semble mettre fin à certaines tergiversations résultant de la présomption de satisfaction à l'obligation de reclassement de l’employeur, notamment lorsque le médecin du travail a rédigé un avis d’inaptitude n’excluant pas la possibilité d’un reclassement.

 

Les faits sont les suivants :

 

Mme [H] a été engagée en qualité d'employée commerciale par la société Judis le 21 septembre 1998.

 

En arrêt de travail pour maladie continue, à compter du 15 mars 2016, la salariée a été déclarée inapte à son poste par le médecin du travail à l'issue d'un examen médical du 4 janvier 2019, le médecin préconisant un poste à mi-temps sans station debout prolongée ni manutention manuelle de charges.

 

Le 4 février 2019, le médecin du travail a confirmé son avis dans les mêmes termes.

 

Après consultation des délégués du personnel le 7 février suivant, l'employeur a transmis une proposition de reclassement à la salariée qu'elle a refusée.

 

L'intéressée a été licenciée pour inaptitude le 14 mai 2019.

 

La société Judis, a formé le pourvoi n° U 22-18.758 contre l'arrêt rendu le 11 mai 2022 par la cour d'appel de Reims (chambre sociale), dans le litige l'opposant à la salariée, Mme [I] [H].

 

L'employeur fait grief à l'arrêt de la cour d’appel :

 

-de dire le licenciement de la salariée sans cause réelle et sérieuse et de le condamner à lui payer diverses sommes à titre d'indemnité compensatrice de préavis, des congés payés afférents, de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

 

-et d'ordonner le remboursement par l'employeur à Pôle emploi des indemnités de chômage versées dans la limite de six mois d'indemnités.

 

L’employeur soutient que l'obligation de reclassement du salarié inapte est réputée satisfaite lorsque l'employeur a proposé un emploi, dans les conditions prévues à l'article L. 1226-2 du code du travail, en prenant en compte l'avis et les indications du médecin du travail.

 

Réponse de la Cour de cassation :

 

La Cour de cassation vise les articles L. 1226-2 et L. 1226-2-1 du code du travail, le premier, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017.

 

Selon le premier de ces textes, lorsque le salarié victime d'une maladie ou d'un accident non professionnel est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.

 

Cette proposition prend en compte, après avis du comité social et économique lorsqu'il existe, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur la capacité du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté.

 

L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en œuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.

 

 Selon le second de ces textes, l'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-2, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.

 

Selon la Cour de cassation, il résulte de ces textes que l'employeur peut licencier le salarié s'il justifie du refus par celui-ci d'un emploi proposé dans les conditions prévues à l'article L. 1226-2 du code du travail, conforme aux préconisations du médecin du travail, de sorte que l'obligation de reclassement est réputée satisfaite.

 

Pour dire que l'employeur n'avait pas satisfait à son obligation de reclassement et que le licenciement de la salariée était sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt de la cour d’appel relève que le médecin du travail a déclaré la salariée « inapte au poste et à tout poste à temps complet. Possibilité de reclassement à un poste à mi-temps sans station debout prolongée ni manutention manuelle de charges ».

 

La cour d’appel ajoute que l'employeur a proposé à la salariée le 8 février 2019 un poste de caissière à mi-temps, qu'il l'a informée le 26 février de l'absence d'objection du médecin du travail sur la proposition de reclassement et l'a invitée à reprendre son poste immédiatement, en précisant la durée hebdomadaire de travail de 17h30 et sa répartition de celle-ci entre les jours de la semaine.

 

La cour d’appel relève ensuite que le médecin du travail avait donné son accord à cette proposition le 4 mars 2019 et que l'employeur a, par lettre du même jour, informé la salariée de cet accord et maintenu sa proposition de reclassement en prétendant à l'absence de baisse de rémunération en raison du maintien du taux horaire.

 

L'arrêt retient enfin que la salariée a refusé cette proposition en raison d'une baisse de rémunération.

 

La cour d'appel en a déduit que la proposition de poste d'une durée de 17h30 avec maintien du taux horaire initial implique de facto une diminution substantielle de la rémunération de l'intéressée, engagée à temps complet, et que la salariée pouvait par conséquent légitimement refuser le poste proposé, entraînant, par la baisse de rémunération qu'il générait, une modification de son contrat de travail.

 

Selon la Cour de cassation en statuant ainsi, alors qu'il ressortait de ses constatations que l'employeur avait proposé à la salariée un poste conforme aux préconisations du médecin du travail et que celle-ci l'avait refusé, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

 

Soc. 13 mars 2024, FS-B, n° 22-18.758
 

 

Version imprimable | Plan du site
©Cabinet d'Avocats ASSOUS-LEGRAND - AL AVOCATS - 01.40.47.57.57 - 112, rue de Vaugirard 75006 Paris